La parabole du Fils Prodigue
les échos du 19 mars 2016

Le départ du fils
Une image fausse du Père

Le fils cadet demande son héritage complet, c'est-à-dire y compris l'usufruit. Cela signifie qu'il souhaite la mort de son père. (Kenneth Bailey )
« Le « non » du fils prodigue reflète la révolte originelle d'Adam » Henri J.M. Nouwen
Le fils cadet imagine son père davantage dans une paternité matérielle (héritage, puis plus tard dans son exil nourriture à profusion)

Un père qui se laisse dépouiller sans résistance
« Mais le Père ne pouvait pas forcer son fils à rester à la maison. Il ne pouvait pas imposer son amour au Bien-aimé. Il devait le laisser partir librement, même s'il savait la souffrance qui en résulterait pour son fils, comme pour lui-même… C'est l'amour même qui lui a permis de laisser son fils trouver sa propre vie, au risque même de la perdre. » Henri J.M. Nouwen. C'est un père que l'amour rend vulnérable !

La paternité c'est l'envoi, laisser son enfant prendre des risques...
Départ pour un pays lointain, Exil : « coupure radicale de la façon de vivre, de penser et d'agir qui lui a été transmise de génération en génération comme un bien sacré… Le pays lointain, c'est le monde dans lequel tout ce qui est considéré comme sacré à la maison est rejeté. » Henri J.M. Nouwen. Cet exil, les Pères de l'église l'ont rapproché du départ d'Adam et Eve du Paradis pour le monde, pays lointain car loin de Dieu.
Abraham aussi quitte son pays… Quitter c'est le lot de l'humanité, mais le départ d'Abraham est orienté, celui du fils est une errance. Tel ce fils nous sommes des peregrini en cette vie, des pèlerins, voyageurs, migrants, Tous des exilés, « des voyageurs désireux de mettre fin aux misères de l'exil » (Saint Augustin)
Vie de désordre, d'excès de désordre :  « Il dilapida son bien dans une vie de désordre »
Prodigue signifie : qui dissipe son bien en libéralités excessives, en dépenses déraisonnables.
On remarque dans certains tableaux la présence d'insignes du pèlerin (bourdon et calebasse, attributs traditionnels du pélerinage de St Jacques de Compostel) et dans d'autres comme celui de Bosch le baton saisi par le vagabond dans le sens inverse, ce qui est symbole de désordre, dérèglement (il fait tout à l’envers).

Le retour du fils

Le mot hébreu qu'on traduit par repentance, « techouva », signifie aussi retour. Se retourner vers !
Le mot grec, « metanoïa » signifie étymologiquement changement de pensée.

Le fils a tout perdu, y compris l'estime de lui-même.
Plus de fortune donc plus d'amis (cf Job), et même il est ravalé au rang des animaux. Pire il est affecté à la garde des cochons, animal impur pour les juifs. Il est devenu un étranger dans sa pauvreté et il est infiniment seul, totalement perdu. « Il était tellement décroché de ce qui donne la vie – une famille, des amis, une communauté, des connaissances et même de la nourriture – qu'il réalisa que la mort serait la prochaine étape. » Nouwen.
C'est dans cet état de confusion que sera peut-être Juda après avoir vendu Jésus.
De la liberté il est passé à l'esclavage !
Dans le tableau de Puvis de Chavannes il est représenté presque nu, recroquevillé ! Etre nu, c'est signe d'humilité, de mort mais aussi de naissance ! On est assez proche de la représentation d'un déposement de croix...

Il rentre en lui-même pour s'en sortir !
« rentrant en lui-même... » : retour déjà vers lui avant le retour vers la maison. Il était à l'extérieur, hors de lui, il se recentre, se rapproche du coeur de son être.
il lui reste la conscience qu'il a un père, ce que n'aura pas Juda puisqu'il se suiccidera. C'est devenu sa seule raison de vivre, penser qu'il est toujours l'enfant de son père. Sa faim a pris une tournure spirituelle (avoir faim de Dieu)

Le retour est un choix 
« Je te propose la vie ou la mort, la bénédiction ou la malédiction. Choisis donc la vie, pour que toi et ta postérité vous viviez, aimant Yahvé ton Dieu, écoutant sa voix, t'attachant à lui... » Dt 30, 19-20
Juda a choisi la mort, Pierre a choisi la vie.
Nous sommes souvent devant ce choix, tentés de nous abîmer dans une sombre image de nous-mêmes, perdant espoir, foi en notre bonté originelle, oubliant que Dieu nous aime quelques soient nos succès ou échecs. Faire confiance : « La miséricorde se moque du jugement » (Jc 2,13)
 
Le fils élabore un scénario de retour, une longue rumination d'excuses et de murmures.
Il pense que l'amour de son père est conditionnel, il doute d'un accueil chaleureux, il est encore dans la culpabilité mortifère. Il remache son passé douloureux et ne peut imaginer l'avenir positif : « je ne mérite pas d'être appelé ton fils » Il doute de la miséricorde de son père et envisage d'être traité comme un inconnu : « traite-moi comme l'un de tes mercenaires »
« Un des plus grands défis de la vie spirituelle est d'accueillir le pardon de Dieu » écrit Henri J.M. Nouwen. C'est comme s'il  n'arrivait pas à croire que Dieu puisse tout pardonner ou que cela lui fasse peur cet amour si incroyable…  Il ne peut imaginer son père que comme un juge dur et sévère…
Mais il ne se plaint ni se justifie. Il est conscient de sa faute, la reconnaît : « j'ai pêché contre le Ciel et contre toi »

Je vais aller vers mon père… Il alla vers son père
Il sort de la rumination pour s'engager sur le chemin du retour.
Nouveau départ d'une terre lointaine comme les Mages.  Départ des Mages, à l'Epiphanie, en quête d'une nouvelle étoile, et arrivée devant un enfant pauvre. « Frères, suivons les mages, quittons nos mœurs païennes. Partons ! Faisons un long voyage pour voir le Christ. Si les mages n'étaient pas partis loin de leur pays, ils n'auraient pas vu le Christ. Quittons nous aussi les intérêts de la terre.... » St Jean Chrysostome Homélies sur St Matthieu, 7-8 (trad. Véricel, l'Evangile commenté, p. 50 rév)  
Troublant que dans certaines représentations de crèches on voit l'Enfant tendre les bras vers les Mages comme le Père vers le fils prodigue

 

 La parabole du père miséricordieux
C'est un prodigieux père prodigue !

Prodigue c'est aussi : qui distribue en abondance.
Il distribue sa fortune ; il s'agit d'un don gratuit, ce don c'est celui de sa Vie. Le fils prodigue dilapidait aussi la fortune reçue mais pour lui, ce n'était pas un don mais un acte commercial…
Il est d'une générosité inouïe : il donne à son fils cadet sa part d'héritage puis le couvre de cadeaux à son retour tout en disant au fils ainé « tout ce qui est à moi est à toi » (et dans le tableau de Rembrandt le fils ainé est richement habillé comme son père). Cela résonne avec cette parole de Jésus : « tout ce qu'a le Père est à moi » (Jn 16,15) et « tout ce qui est à moi est à toi et tout ce qui est à toi est à moi » (Jn 17,10)
Mais ce n'est pas tout, sa générosité s'étend à son pardon, sa bonté, sa joie…
Déjà dans l'Ancien Testament dans Osée, il y a cette image d'un père incroyable : « Comment t'abandonnerais-je, Ephraïm, te livrerais-je, Israël (...)Mon coeur se retourne contre moi, et le regret me consume. Je n'agirai pas selon l'ardeur de ma colère, je ne détruirai plus Israël, car je suis Dieu, et non pas homme : au milieu de vous je suis le Dieu saint » (Osée, 11, 8-9)

Une famille blessée
Deux fils, l'un qui use mal de sa liberté et va à sa perte ; l'autre qui maugréée ; dans les deux cas une relation abimée
Un père qui ne se lasse pas d'attendre son fils parti, qui scrute l'horizon (« comme il était encore loin il l'apperçut »), et accepte d'aller chercher celui qui reste à la porte (« son père sortit et le pria d'entrer ») C'est un père à la fois infiniment patient et impatient !
« Un père avait deux fils, un lointain si proche, un proche si lointain, et pour les deux… un éternel amour » Olivier Arnéra et Patricia Chalm (Sketch up et Compagnie)
«Je devinais aussi, dans cet amour inconditionnel, la peur qu'avait éprouvée le père. Je comprenais que ce retour aurait pu ne pas avoir lieu. Ce moment où le père prend le fils dans ses bras, je le revois dans les photographies de retour d'otage. Généralement la scène se passe sur une piste d'aéroport. Les bras d'un proche (femme, mari, parent, enfant) se referment sur le corps aimé, fragile, violenté, longtemps absenté de l'otage. Chaque fois que je vois les images d'une de ces étreintes au bas de l'avion, les larmes me viennent littéralement aux yeux. » (article dans La Croix été 2015, dont j'ai égaré le nom de l'auteur) 

Un père miséricordieux

« Touché de compassion » = plein de miséricorde.
« il courut se jeter à son cou » Il court vers lui, il fait une partie du chemin et abrège celui du fils perdu. Il va au devant, le chercher, comme le pasteur qui cherche sa brebis, la femme qui cherche sa pièce de monnaie perdue. Quelle délicatesse a ce père qui laisse libre, mais lorsqu'il voit son fils sur le chemin du retour, se précipite à sa rencontre !
« Il s'attendait au juge, il se retrouve au port, échoué, déserté, enfin capable d'être aimé. Appuyé de sa joue, tel un nouveau-né au creux d'un ventre maternel, il achève de naître » P. Baudiquey
La représentation de Rembrandt joue de ce double aspect : le crâne rasé du forçat et la face humide d'un fœtus. Cette confiance absolue dans l'amour du Père, ce coeur à coeur, on le retrouve dans la représentation  du disciple (saint Jean) penché sur le coeur de Jésus.

« il le couvrit de baisers » : il y a de l'excessif, beaucoup d'émotion, de l'embrasement dans cette embrassade ! Les peintres ont surtout montré l'accueil du père, il ouvre son manteau, il étreint! Dans un dessin de G.Gallois on peut penser que le Père embrasse le fils. Il y a un même un tableau où c'est l'inverse le fils embrasse la main du Père. La cape rouge du vieillard de Rembrandt est comme une tente mais rappelle aussi les ailes de la mère poule qui, dans les Psaumes, offre un abri : « Et sous ton aile, je trouve un refuge » (Ps 91, 1-4) Et Henri J.M. Nouwen remarque que « sous l'aspect du vieux patriarche juif, émerge un Dieu-mère qui accueille son fils à la maison »
En janvier Jacques, puis en février Françoise, nous rappelaient que le mot miséricorde en hébreu faisait référence à l'utérus, aux entrailles de la mère. On retrouve cela dans le tableau de Rembrandt avec l'une des mains fine, élégante, féminine du Patriarche posée sur le dos de son fils, dont la tête repose sur les « entrailles frémissantes » de son père. Le jeu des mains est très important dans chaque tableau (cf Sarkis Ikone)…
On peut remarquer aussi que dans ce texte il n'y a que des hommes (pas de mention de mère ou de sœur, juste celle de prostituées) alors que les peintres les ont introduites dans leurs œuvres (servantes en général, sœur chez Tissot, prostituées)

Les larmes du fils

« Bienheureux ceux qui pleurent »

Les larmes sont le signe visible du regret, de l'aveu des péchés. « Dieu ne connaît plus la faute quand le pêcheur la reconnaît » Saint Augustin. Bien qu'il ne soit pas fait mention de larmes dans la parabole du Fils prodigue, il existe des représentations de fils pleurants. La représentation du chien blanc, symbole de fidélité (chez Murillo ou Arcabas) confirme la pureté des intentions du fils et remplace les larmes…

Les pleurs sont très présents tout au long de la Bible. Les réconciliation dans l'Ancien Testament sont un moment d'embrassades mêlées de pleurs (voir plus loin le paragraphe « deux frères ») ; larmes de Pierre après sa trahison (Mt 26,75 ; Lc 22,54 ; Mc 14,72) Jésus a pleuré trois fois (mort de Lazare ds Jean 11,35 ; entrée dans Jérusalem ds Lc 19,41 ; au jardin des oliviers ds Hb 5,7) « Si Dieu lui-même pleure, c'est que les larmes sont un fleuve de vie, un chemin vers lui, un lieu où il se tient et sur lequel on peut le rencontrer » Anne Lecu, religieuse dominicaine.

Le pape François écrit (célébration du mercredi des cendres 18 février 2015) « Cela nous fera du bien de demander le don des larmes, afin de rendre notre prière et notre chemin de conversion toujours plus authentiques  et sans hypocrisie. Est-ce que je pleure ? Est-ce que le pape pleure, est-ce que les prêtres pleurent ? Est-ce que les larmes sont dans nos prières ? Les larmes du coeur, c'est ce qui distingue le fait extérieur des faits intérieurs. Vous savez que les hypocrites ne savent pas pleurer. Ils ont oublié comment pleurer, ils ne demandent pas le don des larmes » Les larmes rappellent le baptême : « Elle est plus grande que le baptême lui-même cette source des larmes qui jaillit après le baptême. Le baptême nous purifie des fautes qui l'ont précédé, tandis que les larmes effacent les fautes que nous commettons par la suite » St Jean Callimaque, moine syrien du 6ème s

Aimer c'est vêtir

De même que les larmes, la robe peut rappeler le vêtement du baptême. « lave-moi et je serai blanc plus que la neige » Ps 50
Les insignes du Fils : la robe réservée aux hôtes de marque, l'anneau signe du sceau de famille (ou de l'alliance retrouvée?), les sandales signes de l'homme libre (l'esclave marchant nu-pieds).
Rembrandt a habillé le Père du vêtement du grand prêtre décrit dans l'Ancien Testament selon Baudiquey. Lorsque le père ouvre son manteau c'est aussi pour en recouvrir son fils, accueillir tout en vêtant.
«Pour les Pères de l'église, ce plus beau vêtement se réfère à la grâce perdue dont l'homme était paré à l'origine et qu'il a perdue en pêchant. A présent on lui fait à nouveau don de ce « plus beau vêtement », le vêtement du Fils » (Benoît XVI in Jésus de Nazareth p 231)
C'est aussi le vêtement de noce (Mt 22,11) nécessaire pour participer au repas de fête.

« N'ayons pas peur
Si nous avons dilapidé le patrimoine de dignité spirituelle que nous avons reçu.
Le Père a remis au Fils le trésor qu'il avait.
Le prix de la foi ne s'épuise jamais.
Ne redoute pas que le Père refuse de t'accueillir.
Dieu ne prend pas plaisir à la perte des vivants.
Il viendra en courant au devant de toi, il se penchera sur toi,
car le Seigneur redresse tous ceux qui sont courbés,
il te donnera le baiser qui est gage de tendresse et d'amour,
il te fera donner robe, anneau, chaussures.
Tu en es à craindre un affront, il te rend ta dignité.
Tu as peur du châtiment, il te donne un baiser.
Tu as peur des reproches, il te prépare un festin. »
Saint Ambroise, évèque de Milan (cité sur le parcours du passage de la porte de Miséricorde dans la cathédrale Saint Sauveur à Aix en Provence)

Un pardon sans condition

Joie, fête
« Chaque confesseur doit accueillir les fidèles comme le père de la parabole du fils prodigue : un père qui court à la rencontre du fils bien qu'il ait dissipé tous ses biens. Les confesseurs sont appelés à serrer sur eux ce fils repentant qui revient à la maison, et à exprimer la joie de l'avoir retrouvé. Ils ne se lasseront pas non plus d'aller vers l'autre fils resté dehors et incapable de se réjouir, pour lui faire comprendre que son jugement est sévère et injuste, et n'a pas de sens face à la miséricorde du Père qui n'a pas de limite. Ils ne poseront pas de questions impertinentes, mais comme le père de la parabole, ils interrompront le discours préparé par le fils prodigue, parce qu'ils sauront accueillir dans le coeur du pénitent l'appel à l'aide et la demande de pardon. En résumé, les confesseurs sont appelés toujours, partout et en toutes situations, à être le signe du primat de la miséricorde. »
Misericordiae Vultus

Le festin
La joie des retrouvailles se concrétise aussi dans un repas prodigieux ! Selon les Pères de l'église, ce repas de fête est une allusion à la célébration de l'Eucharistie précurseur du repas éternel.
Dans sa représentation de la scène, Murillo a joint au retrouvailles du père et du fils, à gauche la préparation du festin et à droite l'apport des vêtements neufs.
« Nous devons revenir à l'Evangile. Dans celui-ci, il n'est pas seulement question d'accueil ou de pardon, mais de fête pour le retour du fils. La joie de la fête est l'expression de la miséricorde qu'exprime parfaitement l'Evangile selon St Luc : « Il y aura plus de joie dans le ciel pour un seul pécheur converti que pour 99 justes, qui n'ont pas besoin de conversion » (Luc 15, 7) Il ne dit pas : s'il devait rechuter, revenir en arrière, accomplir de nouveaux péchés, qu'il se débrouille tout seul ! Jésus a dit « soixante-dix fois sept » (Matthieu, 18, 22) Pape François 11 janvier 2016

Un repas, mais aussi de la musique et des danses  « pour le fils qui était mort et qui est revenu à la vie »… Mais n'est-ce pas excessif ? Voici que le père, sans lui faire un seul reproche, dilapide à nouveau sa fortune pour ce fils « que voilà » ! C'est le monde à l'envers ! L'amour du Père est si grand qu'il semble injuste...

Le frère aîné : la parabole des deux frères

Le frère aîné est aux champs lorsque son cadet rentre à la maison ; il est pris au dépourvu, il ne s'attendait pas à son retour.
Lorsqu'il apprend que le retour de son frère est fêté il se met en colère et refuse de rentrer chez lui. Il reste à l'extérieur de la maison. On peut le comprendre, le départ de son frère l'avait blessé en son temps et il ne lui a jamais pardonné. Son père sort à son tour pour lui demander de rentrer et il lui reproche ce qu'il considère comme une faiblesse, une injustice. Il est jaloux. On est à un nœud de l'histoire. En effet, on imagine le pauvre père qui a déjà souffert du départ d'un de ses fils, qui doit à présent faire face à l'incompréhension du second. D'autre part, la jalousie du fils aîné nous semble légitime, et son argumentaire correct. En effet, le respect tardif vaudrait-il donc mieux qu'une vie de vertu et de dur labeur ?

Le frère juste

« Jamais je n'ai transgressé un de tes commandements »
Les orthodoxes se posent la question : donc les justes, ceux qui ont toujours été fidèles à Dieu, qui peuvent subir de grandes souffrances pour le nom du Christ, ceux-là peuvent ressentir une amertume, de la tristesse face au mal triomphant et impuni. Ainsi le roi David se plaint dans les Psaumes de l'insolente chance des méchants, Job, Tobie et Jonas ne comprennent pas l'épreuve du juste et la bonté de Dieu pour les méchants. Dieu serait-il injuste ? Le juste qui souffre peut être désorienté dans sa foi (Psaume 72 et 73) Mais c'est concevoir une relation juridique avec Dieu. « Il faut passer du Dieu-Loi au Dieu plus grand, le Dieu d'amour. » Benoit XVI (Jésus de Nazareth, p 236)
Est-ce que ce n'est pas l'attitude à présent de ceux qui pensent qu'on ne peut pas donner le sacrement de réconciliation aux divorcés remariés ? En effet, pour ceux qui ont vécu la fidélité avec effort, cela peut être difficile de comprendre cette compassion, qu'ils jugent faiblesse.

Deux frères

La Bible est emplie de ces histoires de frères, d'héritage et de préférence paternelle...
Abel et Caïn, une histoire qui se termine mal ; un frère préféré ? La violence de l'homme.
Jacob et Esaü, un cadet qui veut prendre la place de son aîné, une histoire qui se finit bien, un long chemin de retour. « Esaü prit Jacob en haine à cause de la bénédiction que son père avait donnée à celui-ci et il se dit en lui-même : »proche est le temps où l'on fera le deuil de mon père. Alors je tuerai mon frère Jacob. » Rebecca la femme d'Isaac conseille à Jacob de s'éloigner « jusque la colère de ton frère se détourne de toi et qu'il oublie ce que tu lui as fait » Genèse 27,41… Lorsque ce sera le cas, il prendra soin de lui envoyer un cadeau avant la rencontre. Il se prosterne 7 fois à terre avant d'aborder son frère « mais Esaü, courant à sa rencontre, le prit dans ses bras, se jeta à son cou et l'embrassa en pleurant » Genèse 33, 4
Les frères jaloux de Joseph, le préféré de Jacob ; lorsque Joseph se fait reconnaître de ses frères, non  seulement il leur pardonne mais il justifie leur acte, d'après lui Dieu les a bien inspiré puisqu'il est en mesure de leur sauver la vie (de la famine) : « Vais-je me substituer à Dieu ? Le mal que vous aviez dessein de me faire, le dessein de Dieu l'a tourné en bien, afin d'accomplir ce qui se réalise aujourd'hui : sauver la vie à un peuple nombreux » Genèse 50, 20 ; « Alors il se jeta au cou de son frère Benjamin et pleura… Puis il couvrit tous ses frères de baisers et pleura en les embrassant. » Genèse 45, 14…
Dans l'Evangile selon St Matthieu (Mt 21, 28-32) sont confrontés deux frères ; l'un aquiesce à la demande du père mais n'agit pas selon sa volonté ; l'autre fera la volonté du père après avoir refusé.

Pharisiens et publicains

Après tout ce fils aîné n'est-il pas comme les publicains, assez satisfait de son rôle de fils dans le droit chemin et qui pensait par cette conduite avoir la préférence de son père. Peut-être s'était-il donné beaucoup de mal pour être un bon fils, serviable (« voilà tant d'années que je te sers ») obéissant (« sans avoir jamais transgressé un de tes ordres »)
Dans le tableau de Rembrandt, comme dans les peintures et les commentaires bibliques du 17ème siècle, les deux frères représentent l'un les publicains (pècheurs) l'autre les pharisiens (scribes).
On voit le fils aîné à droite du tableau de Rembrandt, pendant la scène où le fils prodigue se jette aux pieds de son père, alors que dans la parabole il travaillait alors aux champs. Dans beaucoup d'oeuvres il n'est pas représenté.
Mais les Pères de l'église ont aussi identifié le fils prodigue aux païens et le fils aîné aux juifs...

Aimer son frère

Il ne pardonne pas à son frère, il ne reconnaît même plus son frère (« ton fils que voilà »), il fait des reproches à son père
Simone Pacot : « Il présente une fausse soumission, un refus de la différence de l'autre, une incapacité à recevoir les dons du Père. Il ne sait pas que pour entrer dans le Royaume, il ne suffit pas de ne pas transgresser, qu'une autre disposition de coeur est nécessaire. Il n'est pas créatif, il ne prend aucun risque. On sent qu'il n'est pas heureux dans ce qu'il vit : il murmure intérieurement, sans aucun doute, comme Marthe »

Il entre en colère, en rebellion violente avec son père, il ne lui pardonne pas son attitude face à son frère, qui réveille en lui la jalousie… Il imagine son père dans une paternité affective (en quête de reconnaissance) Face à ce nouveau rebelle, le père n'oppose aucun jugement ; seulement il redouble d'amour (« mon enfant » teknon en grec est une formule affectueuse ; « tout ce qui est à moi est à toi »)
« Il est sûr que la conversion la plus difficile à effectuer est la conversion de celui qui est resté à la maison » écrit justement Henri J.M.Nouwen.

Ce que lui demande son père est juste d'aimer son frère comme il l'aime. C'est le commandement du Nouveau Testament ; tu aimeras ton prochain, après l'amour du Père. Car aimer Dieu sans aimer son frère laisse le coeur divisé. Son père l'incite indirectement à pardonner, à regarder avec bienveillance la démarche de son frère plutôt que de rester sur sa propre jalousie.

Il n'y a pas un fils bon et un mauvais, seul le père est bon. D'ailleurs cette parabole n'est pas terminée. Les deux frères se réconcilieront-ils ? Le repentant restera-t-il à la maison ? Le suspens reste sur leur relation l'un envers l'autre. Ce qui est certain c'est que l'amour du père « ne passera pas » ! « L'amour n'est pas l'amour s'il change quand il trouve un changement » Shakespeare. Cet amour miséricordieux de Dieu nous reste mystérieux. Car, de même que l'homme est libre, Dieu l'est. Difficile de vraiment comprendre alors l'élection de Dieu (un  peuple élu) comme son pardon infini (sur la croix : « Père pardonne leur, ils ne savent pas ce qu'ils font »)

Comme pour l'histoire de Marthe et Marie, nous sommes à la fois les deux frères, tantôt l'un, tantôt l'autre ; ainsi dans la représentation de Sieger Kode, les deux frères sont revêtus du même habit bleu et ils ont le même visage !

J'ai comparé cettte parabole avec le chemin de pénitence donné par Marcelle en décembre 2015. On retrouve les mêmes étapes : désir, prise de conscience, regret, démarche, confession, pardon, renaissance. Mais à la différence de ce chemin de pénitence, ni pénitence ni réparation ne sont demandés dans la parabole de St Luc. La seule exigence c'est de nous conformer au Christ qui est dans « la véritable filiation. Il est le fils cadet sans la révolte. Il est le fils aîné, sans la rancune » Henri J.M.Nouwens. Une seule pénitence ou réparation : nous aimer les uns les autres comme Dieu nous aime. « Montrez-vous miséricordieux comme votre père est miséricordieux » (Lc 6,36 ) Il nous est demandé de chercher à nous réconcilier les uns les autres.
On retrouve cette étreinte dans le baiser de paix pendant la messe : dessin de G.Gallois
Le syndicat des pardonnés est bien fourni ! Voir le dessin de G.Gallois : on y trouve Pierre, Marie Madeleine, le bon larron…
Voici ce qu'écrit en guise de conclusion de son livre sur la Miséricorde, Pierre Gibert, qui se réfère à une exhortation apostolique du Pape François en 2013 : « Dieu n'a nul besoin des sacrifices et des offrandes, et s'il les veut, c'est pour exercer notre dévotion et pour aider le prochain. C'est pourquoi la miséricorde qui subvient au besoin des autres lui agrée davantage, étant plus immédiatement utile au prochain »

Jésus, fils prodigue ?
Texte de frère Pierre Marie, fondateur de la Fraternité de Jérusalem, in « Les fils prodigues et le fils prodigue ; Sources vives 13, mars 1987, p 87-93.
« Lui qui est né, non de la race humaine ou du désir humain, ou de la volonté humaine, mais de Dieu lui-même, il prit un jour avec lui tout ce qui était sous son piédestal et il partit avec son héritage, son titre de Fils et toute la rançon exigée. Il quitta pour un pays lointain […] une terre étrangère […] où il s'est fait semblable aux humains et s'est vidé de lui-même. Son propre peuple ne l'a pas accepté et son premier lit fut une couchette de paille ! Comme une racine en terre aride, il grandit devant nous, il fut méprisé, le plus humble des hommes, devant qui on se couvre la face. Bientôt, il connut l'exil, l'hostilité, la solitude […] après avoir tout sacrifié d'une vie d'abondance, sa valeur, sa paix, sa lumière, sa vérité, sa vie […] tous les trésors de connaissance et de sagesse, le mystère caché, tenu secret depuis des siècles ; après s'être perdu parmi les enfants perdus de la maison d'Israël, passant tout son temps avec les malades (et non les bien-portants), les pécheurs (et non les justes), et même avec les prostituées à qui il promettait l'entrée dans le Royaume de son Père ; après avoir été traité de glouton et d'ivrogne, d'ami des collecteurs d'impôts et des pécheurs, traité de Samaritain, de possédé, de blasphémateur ; après avoir tout donné, même son corps et son sang ; après avoir éprouvé lui-même la tristesse, l'angoisse et l'inquiétude de l'âme ; après avoir touché le fond du désespoir en se présentant comme celui qui est abandonné par son Père, loin de la source vive, il a crié du haut de la croix sur laquelle on l'avait cloué : « j'ai soif. » On l'a déposé dans la poussière et l'ombre de la mort. Et là, le troisième jour, il est monté des profondeurs de l'enfer où il était descendu, écrasé sous le poids de nos crimes, il a porté tous nos péchés, ce sont nos souffrances qu'il a portées. Debout, il a crié : « Oui, je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu. » Et il est remonté aux cieux. Alors, dans le silence, regardant son Fils et tous ses enfants, puisque son Fils était devenu tous en tous, le Père dit aux serviteurs : « Vite, apportez la plus belle robe et l'en revêtez, mettez-lui un anneau au doigt et des chaussures aux pieds ; mangeons et festoyons ! Car mes enfants, comme vous le savez, étaient morts et ils sont revenus à la vie ; ils étaient perdus et ils ont été retrouvés. Mon Fils prodigue les a tous ramenés » Et ils se mirent tous à festoyer, vêtus de longues robes purifiées dand le sang de l'Agneau. »

Bibliographie
- Les cahiers croire n°299; Le père ; encourager l'envol
- Jésus de Nazareth, Joseph Ratzinger, Flammarion, pp 226 à 236
- Simone Pacot, l'évangélisation des profondeurs, Cerf, pp 181 à 190
- Henri J.M.Nouwen, le retour de l'enfant prodigue, Albin Michel
- Sur les larmes, La Croix du 3 janvier, Religion et spiritualité, pp 11 et 12
- Bonne étude iconographique du fils prodigue dans l'histoire de l'art du moyen age au 20ème siècle ;malheureusement les photos ne sont pas bonnes http://crdp.ac-paris.fr/parcours/fondateurs/index.php/category/le-fils-prodigue?paged=3
et aussi : http://artbiblique.hautetfort.com/archive/2014/12/04/parabole-du-fils-prodigue-5503400.html
- Exploration et exégèse très complète du thème :  http://crdp.ac-paris.fr/parcours/fondateurs/index.php/category/le-fils-prodigue
- Dernière séquence du film Solaris de Tarkovski : https://www.youtube.com/watch?v=Jorf 2o5YfU&feature=player_embedded
- http://benoit-et-moi.fr/2013-II/benoit/le-fils-prodigue.html : deux prédications de Benoît 16
- http://theredlist.com/wiki-2-20-881-1399-1161-235972-236669-view-1920-1930-1-profile-1929-ble-fils-prodigue-the-prodigal-son-b.html : ballet Prokofiev, Balanchine, Rouault1929.
- https://www.youtube.com/watch?v=DQwd1myRKvU : film de l'éducation nationale très clair,  de très bonne qualité sur le fils prodigue de Rembrandt
- Clip avec Lonsdale sur le fils prodigue, version contemporaine : http://www.lavie.fr/religion/catholicisme/un-clip-sur-le-fils-prodigue-avec-michael-lonsdale-15-12-2014-58731_16.php
- Et bien sûr le livre de Paul Baudiquey épuisé et une vidéo « le retour du fils prodigue » qu'on trouve à la Procure.

 
 
Abbaye Saint Louis du Temple, Vauhallan • mars 2017 Nous contacter