Association des amis de Geneviève Gallois

Homélie de Mgr Brizard sur le Christ Roi

SOLENNITE DU CHRIST ROI DE L’UNIVERS (A 2017)

            La vision que l’évangile nous propose pour la fin de l’année liturgique est grandiose. La tradition chrétienne l’appelle le Jugement dernier. L’Eglise la propose pour célébrer le Christ, Roi de l’univers.
            De fait, ce sont bien toutes les nations qui sont rassemblées devant Le Christ. Mais il nous faut encore élargir notre regard pour comprendre l’univers comme l’Ecriture l’entend. L’univers, dans la conscience juive, n’est pas uniquement lié à la matérialité de notre monde. Il désigne autant le monde palpable que le temps qui passe et qui se déploie d’éternité en éternité. Il faut donc nous ouvrir à cette universalité biblique pour saisir en quel sens le Christ est Roi de l’univers.
            En rigueur de terme, Dieu règne. Nous le disons dans le Notre Père : « Que ton règne vienne ». Et le véritable règne de Dieu, c’est la domination sur le temps qui, au-delà de ce qui est visible, mais périssable, nous conduit à ce qui n’a pas de fin. Reconnaissons que nous avons du mal à concevoir l’universel, la plénitude des temps, la plénitude de Dieu comme une totalité qui englobe aussi bien l’histoire individuelle que collective des hommes qui regroupe toutes les générations passées, présentes et futures. De plus, notre époque souffre d’une difficulté à discerner le sens de son histoire. Il lui est donc presque impossible de comprendre en quoi le Christ est présent dans le monde et règne sur toute l’œuvre de Dieu. Et cela est d’autant plus difficile à percevoir qu’il s’agit d’un mystère eschatologique qui ne sera dévoilé qu’au terme de l’histoire. Chrétiens, nous sommes témoins d’une réalité à venir qui relativise complètement les affaires de ce monde, non qu’elles n’aient pas d’importance, mais leur valeur, comme celle de nos propres actions, ne peut que se silhouetter sur cette ligne d’horizon qui constitue l’attente du Royaume.
            Qui dit royaume, dit roi. Avez-vous remarqué le mouvement ? Le Christ ne se présente pas d’abord comme roi. Il se présente comme le Fils de l’Homme, puis comme berger, enfin comme roi. Fils de l’Homme, Jésus affectionne ce titre en soi eschatologique puisqu’on le trouve dans les dernières livres de l’Ancien Testament et la littérature intertestamentaire, souvent de style apocalyptique. Cependant, par ce titre, Jésus marque sa solidarité avec l’humanité sans oublier la note eschatologique : il est celui qui inaugurera les temps nouveaux. De plus, le Christ, par son incarnation, est de la race d’Adam. Adam préfigure l’unité du genre humain, mais il a failli à sa vocation. Le Christ est le nouvel Adam qui, dans sa chair et dans sa nature de Fils de Dieu, a totalement réunifié les hommes en un seul corps.
            Réunir, rassembler, c’est l’œuvre du berger. Le Roi en Israël était appelé berger, pasteur. Son rôle était d’unir au nom de Dieu, et c’était au nom de Dieu qu’il exerçait, par adoption divine, la royauté sur les fils d’Israël conscients, eux aussi, d’appartenir à la race des fils de Dieu. Les rois ont manqué à leur mission et Dieu reprend lui-même la direction de son peuple. Le Christ s’inscrit dans cette ligne. Il s’est incarné juif, participe à la vocation du peuple juif, il est Messie, c’est-à-dire Roi, chargé de rassembler pour Dieu en un seul corps les fils de Dieu que le péché avait dispersés. Sa fonction est royale et sacerdotale. Le Christ reprend en lui, en sa personne, le projet divin et accomplit la vocation du peuple de Dieu et la dépasse.
            Le Christ est Roi de l’univers parce qu’il domine la création par sa naissance, par son enseignement, par son exemple, par sa mort, par sa résurrection et par sa montée aux cieux. Il a parfaitement accompli le sacerdoce confié au peuple d’Israël. Il a conduit à sa perfection ce qui est au centre de la vocation juive : faire l’unité  et être témoin de l’unité du genre humain qui, en retour, est le reflet de l’unité de Dieu. Seule la foi peut nous faire saisir cette réalité.
            Mais c’est bien ce qui nous arrive. Par le baptême et la confirmation, le chrétien est marqué par le Christ. Par le fait même, il est incorporé au Christ, membre de son corps qu’est l’Eglise, peuple que le Christ s’est acquis au prix de son sang. Ensemble et chacun, les chrétiens deviennent en quelque sorte d’autres Christ dans la mesure où ils reçoivent l’onction qu’a reçue le Christ. Ils deviennent identiques à leur maître et, comme lui, ils sont marqués de l’huile sainte qui les rend, personnellement et ensemble, semblables au Christ, prêtre, prophète et roi.
            La fête du Christ-Roi nous introduit dans un nouvel Avent au sens de nouvel avènement. Nous attendons, nous veillons dans l’espoir de voir le retour glorieux du Christ et le Jugement du monde. Pour cela, nous devons prendre conscience de ce que notre histoire n’est pas banale. Nos jours ne sont pas vains. Ils ne se limitent pas à notre horizon car nous sommes en devenir avec l’ensemble de l’univers, car le Christ attire vers le terme de l’histoire. Relisez saint Paul dans la deuxième lecture. Le Christ accomplit et nous accomplissons avec lui, pour peu que nous lui soyons fidèles, son ministère de pasteur, de rassembleur, de sauveur. Vainqueur de la mort, il sauve ceux qui croient en lui et même ceux qui coopèrent à son œuvre sans le savoir.
            A ce point de la réflexion, l’allégorie du Jugement dernier devient plus claire. D’abord le Christ en gloire ne porte pas exactement un jugement. Il opère un tri selon les actes des uns et des autres, entre ceux qui servent l’œuvre du Christ, même sans le savoir, et les autres ; entre ceux qui aiment et ceux qui jugent.
            Autrement dit, c’est maintenant l’heure du jugement. C’est maintenant qu’il faut vivre comme au ciel ; c’est maintenant qu’il faut servir le Christ caché dans l’humanité. Le jugement que porte l’homme est la mort. L’homme condamne. Le jugement du Christ est la vie pour tous ceux qui, avec lui, aiment et servent l’humanité pour qu’elle devienne solidarité, fraternité, communion. Le jugement du Christ est l’amour. C’est maintenant, aujourd’hui ; et chaque jour est l’aujourd’hui, où se poursuit cette œuvre de sanctification et de rédemption.
            En fêtant le Christ comme roi de l’univers, nous nous associons et nous participons à son œuvre, continuée par les Apôtres et toute l’Eglise. Qu’il règne aussi sur nous. En célébrant la messe nous anticipons en quelque sorte l’avènement du règne qui vient, règne de vie et de vérité, règne de grâce et de sainteté, règne de justice, d’amour et de paix puisque, unis à lui, nous offrons le Christ et nous remettons sa royauté au Père en qui se trouve toute plénitude. Par lui, en lui et avec lui, à toi le Père tout-puissant, dans l’unité du Saint-Esprit, tout honneur et toute gloire pour les siècles des siècles, Amen ! Chaque messe récapitule toute l’œuvre du salut depuis son commencement jusqu’à son accomplissement. C’est pourquoi, si l’on veut être bon pour le salut, c’est aujourd’hui qui compte et il est important de le vivre comme totalité du salut.
            Que Vierge Marie, la mère du Roi, qui, comme telle, a de l’influence sur le roi, qui a été glorifiée et couronnée par lui, - et son couronnement préfigure et annonce notre propre glorification par laquelle nous régnerons avec le Christ -, intercède pour nous, et nous aide sur ce chemin vers le Royaume qu’elle a elle-même vécue dans l’humilité et la pauvreté.

Abbaye Saint Louis du Temple, le 26 novembre 2017
Monseigneur Philippe BRIZARD, Aum. Prov. de la M.C

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