Si Mère Abbesse et la communauté me le permettent, je vais fredonner un refrain dans ma langue maternelle vous souhaiter joyeux Noël :
Nowel,Nowel, Malekramba ,zodg-y noogo,zodg-y noogo !
Nowel, Nowel,têng zug râmba zodg-y noogo,zodg-y noogo !
Nowel, nowel, Naaba Wende, paam pêgre yîngr ye !
N’ayez crainte, ce ne sont que des paroles de bénédictions : C’est Noël, jubilez, vous, anges de Dieu, vous habitants de la terre ; béni sois Dieu au plus haut des cieux !
Je ne sais pas si vous avez remarqué le contraste : la nuit, nous avons fêté un événement haut en couleurs, avec des noms de grands personnages, tels l'empereur Auguste, mais aussi des petits-Marie et Joseph- des noms de lieux : Bethleem- puis, un décor particulier, la crèche, des invités extraordinaires : des bergers, un âne , un bœuf, des anges qui chantent.L'événement est à la fois simple et compliqué. Simple parce qu'il s'agit de la naissance d'un enfant comme cela arrive encore aujourd'hui dans nos villes et nos campagnes, mais compliqué parce que cela semble être un événement universel: Marie, Joseph, les bergers représentent l'espèce humaine. Les animaux représentent l'espèce animale, la mangeoire, l'étable la paille représentent l'espèce végétale, les anges qui chantent représentent le ciel. Tout l'univers semble être convoqué à cette naissance. Cet enfant ne serait-il pas un personnage universel, un pont entre le ciel et la terre, un rassembleur, quelqu'un devant qui tout genou fléchira ?
Mais le gros contraste est surtout ceci : ce matin, nous célébrons le même événement avec un décor différent. Il ne reste qu'un personnage et son rôle a visiblement changé. L’enfant de Marie, dans la bouche de l'évangéliste Jean, est devenu « le Verbe » .Il n'est plus couché dans une mangeoire. Il était « auprès de Dieu ».Puis on apprend qu' « il était Dieu » et que « c'est par lui que tout a été fait. » On apprend encore qu' « il était la Vie », puis qu' « il était la Lumière », que cette Lumière « éclaire tout homme. »Puis, que celui qui était auprès de Dieu est « venu chez les siens. » Voyez-vous, il est difficile de réaliser que l'enfant dont saint Luc nous a raconté la naissance la nuit passée, est le même que Saint Jean appelle « le Verbe » qui en réalité est Dieu en personne devenu l'un de nous.
Je me souviens de cette anecdote : Un jour de Noël, après la messe alors que les paroissiens étaient en adoration silencieuse devant la crèche, une femme s'approche du curé et lui dit : « Mon Père, aidez- moi à croire à l'incarnation. Je veux être sincère avec vous. Moi, je crois en Dieu, tout Puissant, Créateur du ciel et de la terre, Maître et Souverain de l'univers. Ce Dieu-là, j'y crois et je l’accepte. Mais qu'il ait vraiment pris notre chair pour devenir l'un de nous, j'ai du mal à y croire. Comment est-il possible de croire à une chose aussi invraisemblable ? » Je ne sais pas quelle a été la réponse du curé, mais je crois que la femme avait raison, car dans la logique humaine, un plus qui devient un moins, un puissant qui devient un faible, c'est une déchéance et aucun homme normal n'envierait une telle situation.
Devant ce prodige de l’incarnation, la raison humaine se perd et les mots que nous prononçons, ceux de la liturgie, de la théologie et des chants prennent un accent irréel. Comment est-il possible que l'incorruptible vienne se compromettre dans notre chair, que l’Eternel vienne s'enfermer dans les limites du temps et que l'Infini ait pu choisir de devenir un petit embryon dans le sein d'une pauvre femme ? Nous avons en fait peur de trop abaisser Dieu et de le voir à notre taille. Nous aurions peut-être préféré un Dieu Puissant qui reste sur son trône pour nous sauver par le souffle de sa bouche. Mais Dieu a sa logique-heureusement pour nous d'ailleurs- Il a préféré venir marcher sur nos routes, mettre ses pas dans nos pas, connaître la poussière de notre pauvre terre, manger ce que nous mangeons, souffrir ce que nous souffrons, connaître tout de notre condition excepté le péché, pour pouvoir, d'en bas , nous pousser vers le haut, colorer notre humanité avec sa divinité pour lui donner du goût.
Et l'on pourrait se demander que nous apporte concrètement Noël ? Faisons un sondage. Si Noël ne nous apporte rien, mieux vaut le supprimer. Les enfants vont dire : ah les vacances sont liées à Noël. Gardons Noël ! Puis, si vous supprimez Noël, vous supprimez nos cadeaux ; alors fêtons Noël ! Les adultes vont dire : supprimez Noël, ça peut être intéressant parce qu'on diminue les dépenses, mais tout de même, c'est supprimer la joie des retrouvailles familiales. Alors, mieux vaut garder Noël. C’est vrai, Noël fait du bien à nos familles. Il y'a des frères et sœurs qui vont se revoir après tant d'années de séparation, des pères et des mères qui vont revoir leurs enfants et vice versa. Noël, c'est beau, c’est formidable. Et c'est déjà là la merveille : quand Dieu vient, tout le monde se rassemble, tout le monde se parle. Là où nous accueillons Dieu, là il y a la joie et l'amour.
Mais ce n'est pas tout. J’ose croire que lorsque nous quittons l'église après avoir entendu le message de Noël, nous pleurons de joie de nous savoir aimés de Dieu, de savoir que de même qu'une femme sent l'odeur de son enfant, Dieu sent notre odeur, il a suivi nos traces, il nous a rejoints sur notre route et là, il marche, non pas au-dessus de nous , mais avec nous.
Frères et sœurs, c'est surtout cela que je nous souhaite de ressentir et de fêter aujourd'hui. L'amour de Dieu est la clé de lecture de Noël. Aimer c'est tout donner et se donner soi-même disait Sainte Thérèse de Lisieux. Dieu a tout donné à l'homme par amour : la vie, la terre, sa loi, sa parole et à la fin des temps son propre Fils pour que nous vivions de sa propre vie. N'est-ce pas merveilleux que Dieu nous ait aimé à ce point ? Alors, si Noël est l'amour de Dieu pour nous, nous ne pouvons réellement célébrer cette fête sans faire de l'amour la priorité de notre vie. Il y'a une phrase que nous devons arriver à changer dans l'évangile que nous avons entendu aujourd'hui où saint Jean dit : « il est venu chez les siens et les siens ne l'ont pas reçu. » Si Saint Jean devait ré -écrire son évangile qu'il puisse écrire : « il est venu chez les siens et les siens l'ont reçu. » En aimant nos frères et sœurs par des gestes concrets de miséricorde et de solidarité. Un amour qui s'abaisse pour relever l’autre. Le plus beau cadeau que nous puissions faire à quelqu'un dans les sentiments de Noël, c'est de lui dire : « Tu as de la valeur aux yeux de Dieu et à mes yeux. » Qu'il en soit ainsi maintenant et toujours.